Invincible – « Superman » returns !

Invincible affiche“It’s a bird ! No, it’s a plane ! It’s… Sup…”

Non. Il s’agit tout bonnement d’Invincible. Jeune super-héros dont le corps est à ce moment-là plus projeté contre des buildings que volant de son plein gré dans une scène faisant furieusement penser à celles qui parsèment le final dantesque du film Man of Steel de Zack Snyder (1).

Et l’on ne serait pas étonné qu’en retour le film de Snyder se soit enrichi de scènes qu’on jurerait reprises de ce jeune comics ayant fait sienne la modernité apparue entre autres avec des auteurs tels que Alan Moore et Frank Miller, voire encore plus récemment dans des problématiques toutes aussi adultes mais plus violentes par un Millar avec qui Kirkman semble parfois partager le goût des scènes limites un peu gores.

 

Portrait d’une jeunesse en collants

 

La série naît en 2002 sous la plume de Robert Kirkman (scénario) et  le crayon de Cory Walker (dessin). A l’époque Kirkman n’a pas encore connu le succès mondial que l’on sait sur The walking dead qu’il développera l’année d’après. Il travaille alors dans une boutique de comics, sa principale passion d’ailleurs, et souhaite se rapprocher de cet univers (2). Sa rencontre avec Cory Walker va faire des étincelles même si c’est évidemment sa série sur les zombies qui va dans un premier temps avoir un succès grandissant puis international… Au point de voir ensuite comme on le sait tous, le développement d’une série live en 2010 sur la chaîne AMC sous le parrainage du cinéaste Frank Darabont.

Dans la foulée, le comics Invincible, lui, change très vite de dessinateur (le surdoué Ryan Ottley prend la relève mais Walker reste dans le coin, revenant régulièrement pour le design de nouveaux personnages) tandis que la Paramount elle-même achète les droits d’adaptation cinématographique en 2005 sans que rien ne soit encore paru à ce jour.

Il y a pourtant de quoi faire depuis 2002 quand on y pense.

Invincible 8

Reprendre les codes de Civil War ? Easy !

Que raconte Invincible ? Principalement l’histoire d’un jeune homme, Mark Grayson, plongé dans un monde de super-héros et dont le père n’est autre qu’Omni-man, sorte de Superman ayant aussi une majeure partie des mêmes pouvoirs que son aîné de DC comics, la vision laser et l’aversion à la kryptonite en moins. C’est également l’homme le plus fort de ce monde. Quand à Mark, jeune étudiant tout ce qu’il y a de plus banal à première vue, il attend d’avoir des pouvoirs hérités de papa Nolan à la puberté. C’est ce qui arrive dès le premier tome (3), d’une manière tellement banale qu’elle en est immédiatement drôle. Mais dans un monde où le super-héroïsme est constamment de rigueur, comment pourrait-il en être autrement ?

Ce jour là, Mark faisant un petit boulot dans un fast-food, notre héros sort les poubelles, les balance dans le vide ordure. Mais c’est pour les voir disparaître de la stratosphère dans la même case. Juste après, étonnement du jeune héros et unique commentaire : « Ah ben c’est pas trop tôt. » Deux pages plus loin, repas de famille et quand Debbie sa mère l’interroge : « Bon… et ta journée, Mark ? », ce dernier de répondre : « Cool. Je crois que ça y est, j’ai des supers pouvoirs ». Et sa mère continuant de regarder son assiette : « C’est très bien. Passe-moi les patates, veux-tu ? »

Et c’est juste la page 9 du premier tome.

L’une des grandes forces du comics, c’est de jouer constamment sur l’humour et le sérieux, non pas en balançant des punchlines de dérision comme chez Marvel, mais en créant un décalage constant et fin sur l’univers des super-héros tel que nous le connaissons généralement face à ce que nous définissons comme l’humanité basique.

Décalage dès lors des plus savoureux puisque nous suivons un adolescent entrant dans l’âge adulte et connaissant des problèmes d’adultes avec en toile de fond les superpouvoirs et la question de comment les gérer. Une relecture de Superman en somme mais fusionnée directement aux références du genre « teen » (4) d’une part, de la science-fiction d’autre part.

Teen, parce qu’il est pile dans l’âge adolescent. Et comme n’importe quel jeune homme, Mark a des problèmes qui le concernent directement : comment faire avec les profs ? Les potes ? Les filles ? D’ailleurs faut-il dès lors cacher son identité de super-héros comme papa vis-à-vis de ses potes (et donc feindre la comédie) ou avouer la vérité ? Et les filles ne préfèrent-elles pas les humains « améliorés » au fond ou bien n’est-ce pas plus compliqué ?

Science-fiction, parce que la série ne se fixe aucune limite, quitte à emmener son héros ensuite bien loin de la Terre et s’apercevoir qu’elle n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Le cocktail est donc d’autant plus explosif que les meilleurs moments se focalisent souvent sur la psychologie des personnages, débarrassés presque de l’imagerie des pouvoirs. Les petits détails donc, insérés dans les grands rouages de l’action.

A ce propos, notons d’ailleurs que l’humour est comme séparé des scènes d’action, voire des scènes graves. Il y a bien sûr quelques punchlines pour la forme mais comme cela a été signalé précédemment, elles n’interviennent en fait pas aussi constamment que dans des œuvres du Marvelverse (5). Kirkman et Ottley connaissent leurs super-héros sur le bout des doigts et clament leur amour en prolongeant les bases connues non pas dans la simple parodie mais dans une oeuvre sincère et passionnée. Et évidemment, quand c’est drôle, on rit. Bon. Mais quand c’est sérieux, là, autant dire qu’on ne moufte plus. Plus loin dans le comics, le sang coulera, et Kirkman n’aura aucun état d’âme à faire disparaître certains personnages auxquels on a pu s’attacher.

 

Influences de la série

 

Toute la force d’un comics qui sait être addictif est dans sa manière de se renouveler à long terme et savoir surprendre son lecteur constamment. A ce jeu, Kirkman est très bon. Faire disparaître des personnages, tout comme en inclure d’autres, n’est en soi pas nouveau dans les comics. Une fois qu’on a un nombre suffisant de ces derniers, après il n’y a plus qu’à assurer d’une certaine manière le roulement, non ? Oui mais non, c’est une logique en soi trop simpliste.

On le sait depuis la fin des années 80 avec par exemple la parution du légendaire La mort de Superman en 1992, que même les plus grandes légendes peuvent vaciller. Et n’oublions pas déjà en 1986, The dark Knight où Frank Miller introduit un Bruce Wayne plus âgé, grinçant et cynique face à un monde ultraviolent et en voie de déshumanisation. L’époque n’est plus forcément à la bienveillance, elle s’est endurcie. Les justiciers en cape et collant ont fait avec. Car qui mieux qu’eux peuvent témoigner de l’état de la société américaine à travers les différentes crises qu’elle a pu connaître ?

Or Invincible est un pur produit de l’état d’esprit post-11 septembre 2001. Ce qui traduit donc une douleur interne et externe qui se répercute presque d’une manière politique à travers les grands enjeux de l’œuvre. Dans un premier temps, Kirkman va judicieusement nous attacher à ses héros mais aussi à ses méchants pour dépasser le simple manichéisme et nous plonger vers le fait que « chacun a ses raisons ».

Et ces raisons, Kirkman nous les montre toujours, afin de témoigner une nouvelle fois qu’entre le bien et le mal, la frontière est ténue. Personne n’a tort ou raison. Et quand un héros ou un méchant tombe, ça fait mal. Oui, oui, même pour le méchant… qu’on avait presque fini par considérer comme un proche. Et ces raisons, quelles qu’elles soient, servent constamment la notion d’un état-nation à remodeler, à sauver, voire reconstruire dans les deux camps. Aux dépens des individus.

Il n’y a plus juste ici de conquête du monde uniquement pour le prestige chez le Bad Guy. Si un méchant souhaite conquérir le monde, il ne regarde plus le héros qui l’a interrogé en bredouillant une vaine idée de prestige mais évoque profondément l’après-conquête. Pour l’un, affaiblir les défenses terriennes pour préparer à quelque chose de plus grand et innommable. Pour un autre, un but éminemment écologique en tête où l’humain est cité comme un virus, presque amené à disparaître façon Matrix. Ou alors sauver son peuple sur un autre monde. Et pour un dernier, juste le moyen d’accomplir cyniquement ses buts scientifiques et… financiers. Qu’il est loin le temps des méchants qui se pavanaient à essayer de prendre possession du monde en raison d’un ego surdimensionné !

Invincible 4

Je vous avais prévenu que ça pouvait être légèrement sanglant hein !

Le tout enrobé de fortes connotations métas comme seule l’époque peut en produire. Invincible d’ailleurs ne cache nullement ses références et en joue avec amusement parfois. Une manière, en sorte, de participer au renouvellement de la série.

Ainsi Nolan Grayson, le père d’Invincible est, à l’instar de Superman, le super-héros le plus fort de cet univers. Il est aussi d’une certaine manière un exilé de Krypton, qui est parti de sa planète, Viltrum. Sauf que l’empire Viltrumite n’a subi aucune menace catastrophique à même de faire fuir ses membres. Ce qu’il raconte dans un premier temps à son fils, c’est que les viltrumites ont pensé partager leurs connaissances avec d’autres populations extraterrestres si celles-ci avaient atteint le niveau de connaissances nécessaires. Des aliens humanoïdes puissants mais pacifiques voulant partager leur savoir, quitte à se fondre dans la population discrètement. Mais ce n’est en fait pas aussi simple comme on s’en doute.

Le nom Grayson fait lui-même référence au nom de Robin, le jeune allié de Batman, Richard Grayson, alias Dick Grayson. La ligue des Gardiens du globe dans le comics fait aussi bien écho à la Justice League of America de DC Comics que les Avengers de chez Marvel. On peut d’ailleurs curieusement observer au tome 2 un super-héros qui fait référence à Batman, une héroïne dont la ressemblance avec Wonder-woman est frappante, un homme poisson à la Namor sans oublier une sorte de Flash… russe.

Plus tard, Invincible s’envolera joyeusement vers le Space-opera en quittant la Terre à bord d’un vaisseau pour aller vers d’autres univers inexplorés par un terrien. Ahhh, Talescria, gigantesque planète qui fait écho à Coruscant de Star Wars… Il sera même amené à changer de dimensions contre son gré pour basculer dans des mondes parallèles… Et par là, faire des clins d’œil à un certain tisseur comme à un justicier chauve-souris le temps d’une case (tome 6). De quoi donner un certain vertige à la longue.

Invincible Walking Dead crossover

Clin d’oeil.

 

Vers l’infini et au delà

 

Plus l’on progresse dans tous les tomes, plus il nous en faut toujours plus. Au risque évident de décrocher de la série quand la tension retombe trop. Sur des œuvres-fleuves au long cours c’est souvent inévitable mais ça a le mérite de proposer à ce moment-là du neuf pour mieux repartir.

Globalement, on peut distinguer différents arcs au sein de ce qui est devenu une grande saga (un chapitre par mois aux U.S, une parution tous les 4 – 5 mois en France de gros recueils regroupant généralement 6 à 8 chapitres avec pas mal de croquis en bonus).

  • Citons du coup les deux premiers tomes, essentiels et posant les bases de tout ce que l’on va trouver dans la série. Si, après avoir lu ces deux premiers albums, vous n’êtes pas captivés à fond, autant abandonner du coup (mais ce serait dommage).
  • Les tomes 4 à 6 où l’on aborde déjà une nouvelle planète, une autre espèce. L’occasion de prolonger l’histoire vers un lyrisme assez épatant.
  • Les tomes 12 à 14 qui abordent une guerre intersidérale et débouche sur un constat bien surprenant mais qui ne fait que souligner la richesse et la dimension adulte de la série au fond.
  • Les tomes 16 à 18 où notre héros se lie d’intérêts (d’amitié ?) avec ce qui est un super-méchant. Mais où les motivations sont en fait plus bénéfiques qu’on peut le penser. Du coup, est-ce mal au fond d’être un méchant ? N’est-on pas un mauvais parce que tout simplement c’est le monde qui est contre nous, plutôt que nous contre lui ?…

Pour toutes ces qualités et la richesse de ce qui est évoqué, Invincible est assurément un comics à lire. D’ailleurs, comment ne pas être charmé par les couleurs chatoyantes qui se déploient tout au long de la lecture (leurre trompeur au vu de certains épisodes assez durs mais qui ont le mérite de se démarquer d’univers trop gris et trop vus ces dernières années dans l’imaginaire des super-héros) ? Comment ne pas s’attacher à notre jeune héros pragmatique et sympathique ? Comment ne pas être accro à une oeuvre qui déjoue les clichés pour emmener son lecteur vers l’inattendu ?

Une autre preuve que cette oeuvre se situe à part, plus proche des comics indépendants que des gros univers aux multiples personnages qui perdurent : La fin annoncée de la série qui se rapproche à grand pas pour fin 2017 selon son scénariste. Avec la volonté de livrer une conclusion finale à la mesure de tout ce qui a pu être développé, sans que d’autres créateurs ne reprennent tout avec de multiples cycles, nouveaux personnages, reboots et autres arcs comme on peut le voir chez Marvel ou DC. Invincible est le bébé de Kirkman, Walker et Ottley. Ils l’ont fait grandir, devenu adulte et comme toutes les bonnes choses qui ont une existence sur ce monde, il aura donc sa fin. C’est triste mais c’est comme ça. Et c’est encore assez loin heureusement.

Cela nous laisse encore un peu de temps pour tout savourer, tout relire, voire tout découvrir… (6)

En attendant un éventuel film qui ne vient toujours pas. Il y a pourtant de quoi faire depuis 2002 quand on y pense, oui.


 

(1) Sans spoiler, la scène se situe dans l’un des premiers tomes de l’édition française.
(2) Il inclura d’ailleurs cette expérience de vendeur d’une certaine manière autobiographique dans certains passages d’Invincible.
(3) Nous prenons en compte ici la parution des tomes en édition française chez Delcourt.
(4) Que ce soit donc teen movies ou littérature spécifiquement adolescente.
(5) Ce qui regroupe les œuvres appartenant à la maison d’édition Marvel dans un seule et même univers.
(6) Et comme nous avons un certain retard dans les traductions, on peut penser ne voir la fin chez nous que fin 2018, voire 2019.
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Nio Lynes

Lecteur assidu de SF, chroniqueur et illustrateur autodidacte, Nio est tombé dans les mondes imaginaires depuis son plus jeune âge. Depuis il tente à chaque fois comme tous les soirs de conquérir le monde. Mais en vain ! Voir son blog

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