Traverser l’angle mort avec Marie-Lorna Vaconsin

Marie-Lorna VaconsinEn 2017 est paru le premier volet du Projet Starpoint, trilogie en cours emmenant les jeunes Pythagore, Louise et Foresta dans un monde parallèle proche de nous, qu’on ne peut traverser d’une certaine manière qu’en se concentrant sur l’angle mort entre des reflets sur une surface et ce qui est perçu par notre champ de vision. Un premier tome doté d’une belle couverture intrigante qui donne évidemment envie de se pencher sur l’ouvrage, et y découvrir une quête passionnante dont la lecture se destine aussi bien aux ados que les adultes curieux. Le salon des Rencontres de l’imaginaire de Sèvres en novembre dernier était du coup l’occasion parfaite pour interviewer Marie-Lorna Vaconsin, celle qui fit surgir de sa tête tout ce monde à portée de main.

 


Le Mont des rêves : Au risque de faire cliché, commençons par le commencement : D’où t’es venu le goût de la SF ou plutôt plus globalement, de la littérature de l’imaginaire (celle lue puis ensuite, celle écrite par toi-même) ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : Je n’ai aucun problème avec les clichés au contraire… 🙂

Mon goût pour la littérature de l’imaginaire a commencé avec la lecture de Narnia. En découvrant la façon dont les enfants basculaient dans le monde imaginaire, j’ai  voulu devenir romancière pour écrire des histoires du même genre. Lorsque, quelques années plus tard, j’ai lu A la croisée des mondes de Pullman, mon envie d’aller dans cette direction s’est confirmée et j’ai commencé à écrire de petites histoires qui se passaient dans le monde parallèle qu’explorent actuellement Pythagore et Louise. Les personnages n’étaient pas les mêmes, ni l’intrigue, mais j’ai commencé à faire vivre l’univers.

 

Le MDR : Avant d’écrire, je remarque que tu as également été comédienne et restauratrice. Dans le second cas, il me semble que tu le sois encore.  En revanche, comédienne, es-ce encore « au menu » (pardon) ? Peux-tu nous parler un peu de ces deux expériences très différentes ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : J’ai adoré être comédienne parce que c’est une façon d’entrer dans un monde parallèle là aussi… de visiter des univers, des vies, des émotions. J’adore être dépossédée de moi-même, me plonger dans des histoires improbables. Ce que j’ai moins aimé, c’est tout ce qui va autour du métier de comédienne – les castings, l’obsession du physique, la dépendance aux projets des autres… On est paradoxalement contraint à une forme de passivité quand on est acteur, parce qu’on doit être choisi pour travailler.

Le métier de restauratrice au contraire ne dépend que de soi, de sa volonté, de son énergie. C’est ça qui m’a plu avant tout. Construire moi-même sans dépendre de personne. J’aime aussi le métier de service parce qu’on apporte du bonheur au gens. J’aime tout faire pour que les gens passent une bonne soirée. Enfin, si la restauration est un métier très concret, très ancré dans la réalité, je l’envisage aussi comme une façon de construire un monde parallèle dans lequel le public s’abandonne quelques heures. Je l’imagine comme un petit univers en soi – un décor, une émotion dans le gout, dans le service, des musiques, une mise en scène de la réalité. On touche à tous les sens.

 

Le MDR : Je t’avais remarqué pour ma part dans les courts-métrages d’Antonin Peretjako (j’avais même montré French kiss, enthousiaste, à des amis ! (*)) ainsi que son premier long, La fille du 14 juillet (2013) mais tu as aussi joué dans Le crime est notre affaire (2008) et La fête des voisins (2010). Quel souvenirs as-tu de ces tournages ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : French Kiss, c’était génial !  petite équipe, petit tournage, c’était ludique, tout ce que j’aime dans le métier de comédienne. Le crime est notre affaire était une grosse production pour moi ! J’ai adoré travailler avec un réalisateur chevronné, avec de grands acteurs, de beaux costumes, une grande équipe…. et puis aussi, un confort hallucinant de chambre d’hôtel.

La fille du 14 juillet s’est déroulé sur deux ans (deux été successifs) ça a été assez dur, j’avais réservé mes vacances de restauratrice pour tourner le film… autant dire que je n’ai pas arrêté de travailler pendant deux ans… et le soir et le matin tôt j’essayais d’écrire… c’est là que je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire, qu’il fallait choisir…

Dans tous les cas, ce que j’ai aimé dans ces tournages, c’est le fait d’être déracinée de chez moi, de vivre une autre vie. Le moment du jeu, bien sûr, mais aussi quand on ne tournait pas, me retrouver seule, découvrir des villes où je ne connaissais personne, m’inventer une autre vie le temps d’une scène où d’une après-midi.

 

Le MDR : A t’entendre (te lire), il semble que le métier de comédienne est bel et bien fini. Tu avais sorti en 2013 un premier roman, Le monde des possibles avec une héroïne évoluant dans ce milieu au passage. Est-ce que d’une certaine manière ce ne serait pas un peu autobiographique ? Peux-tu nous en parler ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : Le Monde des Possibles parle d’un parcours initiatique ; c’est une sorte de roadtrip à travers le monde : une fille qui découvre qu’elle peut exister par elle-même au lieu de subir les étiquettes qui lui sont tombées dessus.

L’histoire est, a priori, plus réaliste que le Projet Starpoint, mais elle n’est pas pour autant autobiographique. Disons que j’utilise des petits bouts de choses vues, vécues ou racontées, je les découpe et je les retricotte pour former de nouveaux personnages et de nouvelles vies. A la limite, on peut dire que c’est « microbiographique » 🙂

 

Starpoint - Marie-Lorna VaconsinLe MDR : Le Projet Starpoint est donc sorti cette année, et c’est le début d’une trilogie.

As-tu déjà planifié l’ensemble des trois tomes ou alors disposes-tu d’un fil rouge te permettant de faire quelques « pas de côtés » pour la saga ? Par fil rouge par exemple, je pense au dessinateur Andreas qui, alors qu’il se lançait dans les 18 tomes de sa série « ARQ » en 1997 (éditions Delcourt) n’avait pas forcément tous les éléments en mains mais une ligne narrative d’emblée, à même de le faire retomber sur ses pattes.

 

Marie-Lorna Vaconsin : J’ai le fil rouge – c’est à dire la révélation de ce qu’est l’autre monde et comment il s’articule autour du nôtre – mais je n’ai pas toutes les étapes, tous les rebondissements, loin de là ! Je les découvre à force de couches d’écriture successives, je me laisse surprendre. C’est peut-être aussi pour ça que je suis très lente.

 

Le MDR : D’ailleurs quelle est la génèse du projet ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : J’ai commencé à vouloir écrire ce livre à l’adolescence, quand j’ai cessé de jouer aux jeux de rôles que nous nous étions inventées avec ma soeur. Je voulais continuer de faire vivre les personnages par écrit. Au début, Pythagore était très jeune, il avait huit ans, puis dix, puis douze, puis quinze… J’ai écrit des tas de versions différentes, de tas de bouts d’histoires au travers desquels Pythagore, Louise et Foresta ont grandi avec moi.

 

Le MDR : Dans le roman, il est intéressant de voir planer la figure trouble de Gilles de Retz (ou Gilles de Rais) et l’on sent que tu gardes probablement des révélations en réserve pour la suite. D’où t’es venue l’idée de placer ici le Baron de Retz ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : On le surnommait le Barbe Bleue nantais. Il est au croisement de l’horreur et de la légende, de la vie et de la fiction, des faits et du mystère. Il est au centre d’un spectaculaire renversement : il commence sa vie en héros et la finit en monstre sanguinaire… Cette énigme m’a toujours hantée et elle sert le propos final du livre.

 

Le MDR : Avec ces livres, tu t’engages sur une saga « au long cours » comme on dit. A t-il été facile de convaincre un ou plusieurs éditeurs ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : Je n’ai eu à convaincre que mon éditeur. Nous partagions le même gout pour les livres de mondes parallèles et, notamment, une passion pour Philippe Pullman. Nous nous sommes tout de suite très bien entendu pour ce projet. J’ai eu de la chance !

 

Le MDR : Enfin, as-tu déjà commencé l’écriture du prochain tome ? Si oui, peux-tu nous en dire un peu plus sans spoiler ?

 

Marie-Lorna Vaconsin : Oui, l’écriture est bien entamée, elle devrait même être finie, mais je suis un peu en retard. J’imagine que ça arrive à tous les auteurs…

Dans le tome 2, l’action va être « dézoomée » et nos héros vont voyager… Ils en sauront un peu plus sur la nature scientifique de l’autre monde. Voilà… je n’en dis pas plus…

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(*) Pour les plus curieux, French Kiss est visible sur Youtube en deux parties ici et . 🙂

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Nio Lynes

Lecteur assidu de SF, chroniqueur et illustrateur autodidacte, Nio est tombé dans les mondes imaginaires depuis son plus jeune âge. Depuis il tente à chaque fois comme tous les soirs de conquérir le monde. Mais en vain ! Voir son blog

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