La survivante – SF et cul(te) !

La Survivante afficheLe sexe est-il soluble dans la science-fiction ? Cette question, peu évidente, semblait avoir été résolue par une poignée d’auteurs de tous continents sur de nombreuses décennies, qu’elle soit un élément bien naturel au sein de l’intrigue (Ayerdhal, Carolyn Janice Cherryh), voire l’un des thèmes principaux de l’auteur (Philip José Farmer pour n’en citer qu’un). Mais le mélange sexe, science-fiction apocalyptique et bande dessinée, était-ce tout aussi possible ? La réponse est oui, sous le trait dynamique de Paul Gillon et sa série La survivante dont le titre annonce d’emblée la couleur.

 

Gillon (1926 – 2011) n’en était à vrai dire pas à son coup d’essai. Quand il commence à publier La survivante en 1985 au sein du magazine L’écho des savanes pour une édition reliée chez Albin Michel ensuite, il a auparavant tâté de la SF avec Jean-Claude Forest au scénario et la culte série des Naufragés du temps. Moins crue que ne le sera sa petite sœur, Les naufragés ne s’embarrassaient pourtant pas d’une histoire adulte et déjà désespérée ponctuée d’un érotisme étrange et joyeusement déviant où une humanité à la dérive fusionne avec des espèces animales.

La Survivante 1Sur La survivante, Gillon a tout loisir de réaliser sa pièce-maîtresse avec une histoire qu’il va mener de bout en bout sur non pas juste un tome, mais 4. Comment du coup, tenir la route et ne jamais lasser le lecteur ? En ne livrant jamais toutes ses cartes, même si dès les premières pages (scans perso des 6 premières planches en fin d’article pour vous donner plus qu’envie), tout semble déjà irrémédiablement donné. Et c’est noir, très noir.

On découvre donc une Aude Albrespy qui émerge d’une grotte souterraine pour s’apercevoir horrifiée qu’il n’y a plus personne à la surface. Toute forme de vie humaine, mais aussi animale comme l’on s’en apercevra bien vite, semble avoir été calcinée et redevenue poussière. Le spectre du nucléaire et de la déflagration atomique pointent le bout de leur nez mais il s’agit d’autre chose, d’innommable, puisque les bâtiments et décors sont toujours intacts, inchangés. Zéro radiation. Seul ce qui était vivant a irrémédiablement disparu.

Très vite notre héroïne tente d’organiser sa survie et de remonter sur Paris afin d’y trouver peut-être un espoir. Las ! Il n’y a plus rien. Ce qui reste de l’humanité, ce sont « les cybers », les robots utilitaires qui composaient avec les humains, les aidaient dans les travaux ménagers, le bricolage, les courses, l’entretien de la ville… Et tandis que notre héroïne se rattache désespérément au sexe pour ne pas sombrer dans une solitude immense et déshumanisée, les cybers s’organisent. Leurs intelligences artificielles comprennent lentement mais sûrement que sans l’Homme, ce n’est pas plus mal. C’est peut-être même mieux que prévu. Reste à voir comment se réorganiser et surtout quoi faire de cette humaine, dernier reliquat de puissants maîtres disparus…

La Survivante sérigraphie

La survivante n’est pas seulement érotique, elle est même complètement pornographique et c’est en soi bien humain : La dernière pulsion de vie qui évite de sombrer dans la mort ici c’est le sexe. Qu’il soit pratiqué seul ou bien plus tard avec l’aide d’Ulysse, le robot domestique de l’hôtel 4 étoiles où loge Aude, un jour qu’elle n’en peut plus. Peu après l’acte, notre héroïne contemple la carcasse du robot qui semble se reposer comme un humain : « Merde alors ! Cette ferraille est glacée !… Il est vraiment culotté ce larbin ! » avant de le flanquer violemment à la porte de la chambre et de se raisonner : « Je suis injuste ? Et après ? Ulysse n’est qu’une foutue mécanique, non ? » Mais quelque part le mal est fait et l’humanisation progressive d’Ulysse comme des autres machines part peut-être de ça,

de cet acte animal où les corps se relient et communient pour n’en former plus qu’un.

Car n’en doutons pas, en plus d’une (bonne) histoire de cul, La survivante est aussi une bonne histoire de science-fiction. Mine de rien, Gillon interroge la notion de survie dans un environnement devenu si inhumain qu’on le croit volontiers assez réaliste (excepté la date où arrive la catastrophe, 2007… Qui apparaît être maintenant dans notre propre passé, mais bon, c’est une erreur type de la SF non ?), réfléchit aux liens qui unissent les robots et les humains (indice, les lois de la robotique d’Asimov en prennent un coup dans l’aile maintenant qu’il n’y a quasiment plus d’humains), arrive même à nous faire espérer que la vie puisse renaître…

Mais en dévoiler toute la richesse serait trahir cette saga et ses quatre tomes dorénavant regroupés dans une sublime intégrale chez Drugstore depuis 2011 et nous ne pouvons que vous conseiller d’y jeter un œil (à défaut d’un membre) : par curiosité peut-être mais tout aussi bien par passion devant un dessin élégant et racé et une histoire de haut vol, captivante dans toute sa noirceur et sa crudité.

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Nio Lynes

Lecteur assidu de SF, chroniqueur et illustrateur autodidacte, Nio est tombé dans les mondes imaginaires depuis son plus jeune âge. Depuis il tente à chaque fois comme tous les soirs de conquérir le monde. Mais en vain ! Voir son blog

3 commentaires :

  1. Très chouette chronique! Ca me donne envie de relire cette excellente saga SF X! Grande découverte pour ma part, et c’est grâce à toi. Merci encore!

  2. J’adore cette série ! De la vrai SF mâtinée d’érotisme parfois hard, c’est parfaitement maitrisé et un nombre de volume limité. C’est parfait…
    C’est ce qu’aurait pu être « Morbus Gravis » si Serpieri ne s’était pas laisser aller, après quelques tomes, à « faire du cul » au détriment du scénario…

    • En effet pour Druuna (enfin Morbus Gravis même si après coup c’est devenu le titre du premier tome de Druuna). Jusqu’aux tomes 3 et 4 ça va mais la lecture du tome 5 il y a quelques jours a failli me tomber des mains : du cul et surtout des scènes de tortures qui n’ont aucune justifications réelles. Déçu. Le tome 6 essaye de se racheter un peu (un clin d’oeil à Alien à la fin d’ailleurs) mais le mal est fait… Dommage pour l’oeuvre de Serpieri parce que sinon le dessin reste toujours à tomber de bonheur.

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